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GREEN LEFT WEEKLY.- 2 Juillet 2003 : CUBA:
Un cas unique qui ne passe pas On va enfin comprendre pourquoi Laurent Fabius, pourquoi Reporters Sans Vergogne, pourquoi l'Express, pourquoi Charlie Hebdo... pourquoi ici et pourquoi maintenant. [Augusto Zamora R. est professeur de droit international et de relations internationales à l'Université autonome de Madrid]
En général, ces événements se déroulent sans commentaires. A part quelques rapports détaillés et les condamnations prononcées par les organisations de défense des droits humains telles Amnesty International, l'exécution d'êtres humains fait rarement la une des journaux, déjà envahis d'images de sang et de morts. En contraste avec cette tendance naturelle au silence et à l'indifférence, l'exécution de trois pirates d'une embarcation à Cuba a déclenché une tempête politique et médiatique inhabituelle - dont l'épicentre est situé aux Etats-Unis. En Espagne s'est produit une manifestation devant l'ambassade de Cuba à Madrid à laquelle participèrent, fait rare, des ministres du gouvernement et des dirigeants des deux principaux partis. Ce n'est pas le seul domaine où Cuba est traité comme un cas à part. Les appels constants pour une démocratisation de l'ile donnent l'impression que Cuba est le seul pays au monde avec un système à parti unique, et que l'Union Européenne et les Etats-Unis appliquent les mêmes règles à tous les pays qui ne correspondent pas à l'idée qu'ils se font de la démocratie. DEUX POIDS DEUX MESURES Rien n'est moins vrai. En Tunisie, si proche de l'Europe, le président s'est proclamé président-à-vie en 2002 par un référendum et 99,52 pour cent des voix, et une participation record de 95,5 pour cent. Jusqu'à présent, aucun gouvernement Européen n'a protesté contre cet évident fraude électoral. Lors du coup d'état au Venezuela en avril 2002, l'ambassadeur d'Espagne se précipita pour féliciter le président éphémère, Pedro Carmona. L'Espagne et les Etats-Unis furent les seuls pays à soutenir la tentative de coup d'état, qui fut condamné par l'OEA. Il en va de même pour la question des droits de l'homme, invoqués pour Cuba avec une application inversement proportionnelle que pour d'autres pays dans le monde. L'obsession envers Cuba est pratiquement hypnotique, comme l'est l'obsession des Etats-Unis à obtenir chaque année une condamnation de ce pays devant la commission des droits de l'homme de l'ONU. Rien de tel ne se produit, par exemple, avec la Colombie où on compte chaque année 35.000 morts dans le cadre de la violence politique et où on assassine le plus grand nombre de syndicalistes dans le monde. Ni au Guatemala, où on assassine les militants des droits de l'homme et où les tribunaux acquittent les criminels convaincus, sans oublier les cycles de massacres de paysans et d'indiens en Bolivie, Mexique et Pérou. Oublier l'Afrique serait presque un devoir,
tant l'indifférence des pays riches est grande devant les atrocités
commises contre les populations, mais un cas vient à l'esprit.
Au Guinée-Bissau, un chef militaire accusé de rébellion
fut exécuté et le vice-président de la Ligue des
Droits de l'Homme jeté en prison. Malgré cela, l'Union Européenne
accorda à la Guinée-Bissau un pret de 80 millions d'euros
dans le cadre de la coopération, peut-être motivée
par les intérets économiques dans le domaine de la pêche L'existence de prisonniers politiques est un autre leitmotiv. Bien sur, aucun amoureux de la liberté ne peut supporter qu'une personne soit emprisonnée pour ses idées. Néanmoins, environ une centaine de pays connaissent ce problème, et pour des raisons bien moins évidentes que celles invoquées par Cuba. Il y a des centaines de prisonniers politiques en Tunisie. En Guinée Equatoriale c'est encore pire. Chaque année ce pays reçoit des centaines de millions d'euros de l'Espagne, que le tyran Obiang consacre à l'accroissement de la répression et à alimenter sa tyrannie. L'ex-colonie espagnole non seulement échappe à toute sanction, même symbolique, mais en plus profite chaque année de la générosité du gouvernement espagnol. Le cas le plus sanglant est la Turquie. Au mois de décembre dernier une jeune femme, prisonnière politique, est morte après 512 jours de grêve de la faim. Elle était la 58ème à mourir ainsi dans les prisons turques. Depuis 1990, 4500 cas de torture ont été denoncés et en 2000, 56 cadavres de victimes des groupes paramilitaires furent découverts. Dans le même temps, la persécution de la minorité Kurde, privée de tous ses droits, se poursuit. CI-GIT LE SOCIALISME ? Il ne manque pas d'experts pour affirmer
avec virulence que le socialisme a échoué. Ces critiques
auraient un minimum de poids si l'Amérique latine pouvait présenter
un exemple économique et social encourageant face à Cuba.
C'est tout le contraire. Malgré le blocus imposé par les
Etats-Unis, malgré le refus de crédits et le fait que Cuba
soit obligé de payer comptant, malgré les réticences
de beaucoup, Cuba continue d'etre en tete sur le continent, Etats-Unis
inclus, dans tous les indicateurs d'éducation, Comparé au spectacle désolant
des pays de la région qui ont sombré dans la misère,
le chomage, la faim et le désespoir, Cuba affiche des indicateurs
comparables aux pays industrialisés. La différence est encore
plus criante si on prend en compte le fait que Cuba, contrairement au
Mexique (75 pour cent de la population sous le seuil de pauvreté
selon les chiffres de son propre gouvernement), la Colombie (pas de commentaires)
ou l'Equateur (un tiers du pays a émigré), n'a pas de pétrole
ou de ressources Si nous prenons comme référence l'Indice de Développement Humain (IDH) des Nations Unies, le système Cubain s'en sort pas trop mal. Selon les derniers chiffres, devant Cuba (classé 55), on trouve seulement l'Argentine (mystérieusement en position 34), le Chili (38), l'Uruguay (40), le Costa Rica (43) et le Mexique (curieusement 54). Le reste passe derrière, la plupart loin derrière, comme le Pérou (82), le Paraguay (90), la Bolivie (114) ou le Guatemala (129). Aucun gouvernement de pays riche ou gourou n'arrive à admettre que le capitalisme a échoué dans pratiquement toute la région (et dans le monde) pour tout ce qui concerne le niveau de vie des gens. Ils ne disent rien, non pas parce que l'échec n'est pas évident, mais parce qu'un tel aveu représenterait une menace pour le dogme moderne, à savoir l'inéluctabilité du capitalisme en tant que système. LES VERITABLES PREOCCUPATIONS Ce qui les préoccupe à propos de Cuba n'est pas la question de la démocratie (les coups portés contre les gouvernements genants pour sauvegarder des intérets illégitimes sont toujours applaudis). Ce n'est pas le peine de mort (La Chine et les Etats-Unis mènent le peloton), ce ne sont pas les droits de l'homme oo les libertés civiques (le cynisme occidental a de quoi faire pleurer). Si on veut vraiment trouver une explication plausible pour le traitement particulier infligé à Cuba, il nous faut chercher ailleurs. Avant tout, Cuba dérange parce que les Etats-Unis n'ont pas réussi à briser l'ile au bout de 45 ans. Cuba est une épine dans le pied de l'Empire, ce qui fait de Cuba une question d'honneur impériale. Cuba est aussi un symbole qui rapelle à l'Amérique latine et au monde entier qu'il n'est pas nécessaire d'etre une grande puissance pour résister au siège de l'empire.
Ainsi, (la compagnie aérienne espagnole) Ibéria pourrait acheter Cubana de Aviacion, le tabac irait à Philip Morris, le nickel à Anglo-American Corporation, l'industrie pharmaceutique à Glaxo-SmithKline et le pétrole à Exxon, tandis que MacDonald ouvrirait une filiale dans la patrie de José Marti.
De cette manière, oui, Cuba pourrait
réintégrer le monde démocratique et profiter de tous
ses avantages. Le problème est que la grande majorité des
Cubains, conscients du sort reservé Rien n'indique que le système Cubain pourrait s'effondrer à court terme. La phase la plus difficile (la "période spéciale") est passée, les indicateurs économiques montrent une amélioration. Dans le classement de l'IDH Cuba est passé de la 86eme position en 1997 à la 55eme en 2002. La Commission Economique pour l'Amérique latine prévoit une croissance de 5 pour cent en 2003, tandis que l'indépendance énérgétique atteint un niveau record, tout comme se poursuivent les réformes structurelles pour adapter l'économie nationale à la nouvelle situation avec le minimum d'impact sur les dépenses sociales. La position de Cuba dans la politique du continent s'est aussi améliorée. Les Etats-Unis n'ont pas réussi à faire condamner Cuba par l'OEA ce qui montre que la plupart des pays de la région ne parient pas sur un naufrage du pays. De même, les sanctions récemment adoptées par l'UE contre Cuba sont négatives, stériles et tombent au mauvais moment. D'un coté l'UE renforce les positions agressives et extrémistes des Etats-Unis, de l'autre, au lieu d'encourager le gouvernement Cubain à s'ouvrir, ces mesures renforcent le sentiment justifié d'une forteresse assiégée, et aggravent les problèmes provoqués par le blocus US. Il s'agit donc de mesures contreproductives, qu'on ne peut expliquer que par le désir de l'UE de faire plaisir aux Etats-Unis après leur aggression contre l'Irak. Mais nous sommes habitués à cette manie de l'UE de s'en prendre aux faibles pour faire plaisir aux forts meme lorsque cela implique une injustice profonde. Et, soit-dit en passant, c'est ce qui nous attend pour le 21ème siècle.
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