Paris,
le 27 juin 2003
Monsieur Laurent Fabius
Monsieur,
Un
déluge d'appels et de messages de tout genre arrive à
notre Ambassade, exprimant tantôt leur choc, tantôt leur
indignation et frustration devant l'article que vous avez signé
pour Le Nouvel Observateur dans l'un de ses derniers numéros.
En fait, je ne connais pas votre style personnel, mais je connais très
bien le contenu et la forme des écrits de la mafia de la Fondation
nationale cubano-américaine de Miami, et peux vous assurer n'avoir
rien lu ces derniers temps de si semblable que cet article portant
votre signature. Mais, enfin, prêter ainsi votre nom pour ces
manouvres anti-cubaines entraîne une responsabilité qui
doit être assumée.
Je
me sens fier d'avoir eu le privilège de pouvoir représenter
ici l'État cubain durant ces années. Nous sommes attachés
à la France par des liens si multiples, inimaginables, créatifs
et poétiques qu'il m'arrive souvent de penser que les heures
de la journée ne sont pas suffisantes pour cultiver cette amitié
de très longue date entre nos peuples et nos liens culturels,
qui ont su résister à l'épreuve du temps. Votre
position, M. Fabius, est insultante.
On
dirait que vous ne vous intéressez pas à d'autres affaires,
et le fait est qu'il y a de quoi s'inquiéter dans le monde. Je
ne sais pas ce que vous pensez à propos des guerres, des tortures,
des crimes et des humiliations qui ont lieu dans le tiers monde au nom
d'une démocratie vide de sens et qui prive des droits les plus
élémentaires à l'immense majorité des êtres
humains, ou de la guerre contre Iraq et l'après-guerre, des menaces
qui pèsent sur d'autres nations.
C'est
humiliant et incroyable de vous voir tomber si bas, parce que ce que
vous avez fait, et je doute que ce soit d'une manière inconsciente,
c'est endosser le projet néo-fasciste de domination mondiale.
Vous
devriez choisir avec plus de rigueur vos sources d'information. Mieux
encore, je vous inviterais à visiter Cuba avec la garantie absolue
d'un accueil modeste, mais sûrement digne et chaleureux. En tout
cas, ce n'est pas pour rien que nombre de Français remplissent
les avions pour profiter de leurs congés là-bas, et que
d'autres trouvent des motifs scientifiques, culturels, sociaux, commerciaux,
et même sentimentaux pour y retourner à plusieurs reprises.
Si
vous visitiez Cuba, vous verriez combien il est facile de communiquer
dans votre propre langue, car pas mal de Cubains parlent français.
Vous admettrez sûrement que les facilités mises à
la disposition des Cubains pour étudier n'ont pas d'égal
dans le monde, et beaucoup moins encore dans des pays ayant le même
statut économique que le nôtre et les mêmes conditions
de harcèlement permanent.
Au
milieu de ce harcèlement aberrant, le modèle de développement
politique, économique et social, défendu et approuvé
dans les urnes par une grande majorité de Cubains, a servi à
édifier une oeuvre aux profondes dimensions humaines.
Beaucoup
de ressources, de temps, d'intelligence, sont employés à
Cuba pour développer la pensée et la culture, pour perfectionner
l'éducation, pour briser les chaînes de l'ignorance. Et
que dire des résultats obtenus dans les domaines de la santé,
des sports, de l'emploi, de l'attention portée aux enfants et
aux personnes âgées, du traitement de la marginalité,
des efforts dans le secteur de l'alimentation, parmi d'autres acquis
qui ont apporté une autorité et un soutien populaire écrasant
à la Révolution.
Si vous êtes bien renseigné, vous devriez savoir que le
gouvernement nord-américain lui-même, notre grand adversaire,
l'a publiquement reconnu maintes fois. Ignorer tout ceci, et tenter
de faire coller à Cuba l'étiquette de dictature révèle,
du moins, une totale ignorance de la réalité cubaine.
Vous
évitez en plus toute allusion à l'une des plus grandes
violations des droits de l'homme de tous les temps: l'inhumain blocus
imposé depuis plus de 40 ans par les Etats-Unis contre le peuple
cubain, renforcé maintenant avec les récentes mesures
prises contre Cuba par l'Union européenne. Par contre, vous insistez
sur le fait que Cuba est un pays agonisant, tandis que la réalité
démontre tout le contraire. Notre nation n'a pas seulement survécu,
mais elle a été capable de se redresser de manière
continue
après avoir perdu ses principales alliances économiques
et politiques.
Non
pas seulement nous avons maintenu les grands acquis sociaux qui ont
situé Cuba à l'avant-garde des pays du tiers monde et,
dans quelques disciplines telles que l'éducation et la santé,
à la hauteur de beaucoup de pays développés, mais
notre système politique et électoral est devenu de plus
en plus participatif, la gestion économique et celle des entreprises
se sont modernisées, la société s'informatise plus
rapidement et ses effets sur l'économie sont déjà
tangibles, des jeunes cadres talentueux
occupent de hautes et complexes responsabilités dans les domaines
politique, économique et social.
Vous
ne connaissez pas les Cubains, ou plus exactement, vous ne connaissez
pas les vrais Cubains. Tout montre que vous êtes désormais
l'allié de ceux qui par leurs tâches machiavéliques
promeuvent la guerre contre la Patrie qui les a vues naître. C'est
parce qu'ils n'ont plus rien d'autre à tenter et se sentent affaiblis
et fragmentés. Leur quartier général est situé
à Miami, où la dictature est allée s'installer,
oui, la dictature, car celui qui s'exprime autrement que ne le fait
la mafia terroriste doit
''bien sauver sa peau'' (comme on dit à Cuba). Maintenant, la
seule chose qui manque à cette bande, c'est de se faire payer
le service ou, plus exactement, la fraude qui a permis à Bush
d'accéder à la Maison Blanche.
Monsieur
Fabius, vous vous prêtez à un jeu inconsidéré
et dangereux, dont le but est de justifier une agression contre Cuba
en fabriquant de faux prétextes, en plus d'ignorer que toute
l'ouvre de la Révolution cubaine est un chant à la vie,
à la promotion et à la jouissance des vrais droits de
l'Homme. Vous ignorez également que Cuba figure parmi les pays
ayant signé le plus d'instruments internationaux en cette matière,
que c'est le premier pays de sa région à avoir accueilli
un Haut Commissariat, outre
plusieurs rapporteurs thématiques, et l'un de principaux auteurs
des résolutions en faveur de ces droits. La Révolution
a donné aux Cubains leur indépendance d'une puissance
étrangère et, avec elle, leurs véritables dignité
et identité, c'est bien là l'essentiel.
Avant
de conclure, un détail: n'encouragez plus, s'il vous plaît,
les diplomates de votre pays à violer la Convention de Vienne.
Rappelez-vous que s'immiscer dans les affaires intérieures d'autres
États, c'est ignorer cet instrument si utile et indispensable
du Droit International auquel votre pays et le mien ont adhéré
depuis longtemps.
Cordialement,
S.E.M.
Eumelio Caballero
Ambassadeur de la République de Cuba en France