Fin de la dollarisation à Cuba (analyse)
Voici quelques extraits de "Cuba est une île", qui permettent
de situer la réforme annoncée hier par Fidel Castro et
montrer que celle-ci était prévue : désormais le
dollars est remplacé par le peso convertible. Comme nous l'annoncions
donc en juin 2004, (date de fin de rédaction du livre) le peso
convertible a toujours été conçu pour remplacer
un jour le dollar; les mesures prises par Bush visant à empêcher
les ressources de l'immigration de venir dans l'île comme dans
n'importe quel pays d'Amérique latine (dont elles constituent
la plupart du temps le principal moyen d'accès aux devises),
plus le poids de ces mesures sur le tourisme, ait amené le gouvernement
cubain à substituer tout de suite le peso convertible, c'est-à-dire
le peso équivalent au dollar sur Cuba sur tous les achats et
vente en dollars dans l'île.
Danielle Bleitrach
Résumé :
1)
Avec la fin du COMECON, Cuba perd 85% de ses échanges extérieurs
et 35% de son PNB
2) En 92 puis en 96, les USA resserrent le blocus avec en particulier
la loi Helms Burton
"Comment dans un tel contexte, Cuba peut-elle échapper à
la logique de ces crises, dont les effets sont bien connus et encore
présents en Argentine : la masse de la population glisse dans
la pauvreté absolue, et ne peut plus non seulement se nourrir,
se loger, s'éduquer, ni se soigner. Elle ne proteste même
plus tant elle est occupée à sa survie quotidienne. En
revanche, une minorité sort enrichie du séisme, qui a
également profité aux investisseurs étrangers,
sans parler de tous ceux, dans les organismes financiers, qui se font
une spécialité de racheter les créances à
bas prix, pour en exiger ultérieurement le remboursement à
taux plein. À Cuba, certes la population souffre, mais personne
ne meurt de faim, et Cuba maintient un système de santé
et d'éducation sans équivalent dans le monde sous-développé.
Cet effort Cuba n'a pu le faire qu'en organisant des maigres ressources
d'une manière égalitaire comme la libreta, qui fournit
des produits de première nécessité presque gratuitement.
Mais Cuba ne se contente pas de cette économie de guerre, elle
organise sa NEP, la dollarisation est introduite,
un mal nécessaire sur lequel les puristes révolutionnaires
se gausseront en France. Pourtant si Cuba veut se nourrir, acquérir
des objets de première nécessité, (par exemple
le lait pour ses enfants, qu'aucun bétail sous les tropiques
ne peut produire en quantité suffisante), alors que ses acheteurs
fournisseurs du COMECON, à tarifs réciproques préférentiels,
ont disparu, pour cela il lui faut bien aborder le marché avec
des devises et les prendre quelque part. Dans ce cadre, la possession
des devises est dépénalisée.
Le
peso devient convertible et un réseau commercial entre les entreprises,
dans la consommation, est créé, il tend même à
s'élargir. Dans le même temps, Cuba maintient pour le marché
interne le peso dont elle arrive à stabiliser le cours de ce
dernier autour d'une vingt cinquième de dollar.
En 1992, la Constitution cubaine est réformée de manière
à permettre l'existence de formes non étatiques de propriété,
et particulièrement d'entreprises à capital étranger
mais dans lesquelles l'Etat cubain conserve 51 % des parts . De plus
en plus de propriétés agricoles
s'organisent en coopératives, et le marché des produits
agricoles et industriels devient libre. Apparemment Cuba glisse vers
les recettes néo-libérales, et la critique de gauche ne
se prive pas de le dénoncer, en insistant sur les inégalités
sociales engendrées par ces mesures.
Il
y a cependant quelques différences notables : il n'y a pas à
Cuba de marché financier, ni privatisations, ni non plus d'accumulation
du capital. Il existe des comptes en dollars, qui témoignent
d'une certaine accumulation, puisqu'on calcule que 10 % des comptes
possèdent 80% des dépôts, qu'une seule personne
peut posséder plusieurs comptes. Leurs possesseurs peuvent consommer
autant qu'ils le désirent, cependant il ne s'agit pas de capital,
puisque cet argent, selon la loi cubaine, ne peut pas être investi
dans des entreprises employant des salariés.
L'accumulation dans les comptes peut représenter une pression
dans certains secteurs de la société. C'est le pari du
" projet Varela ", tabler sur l'existence d'une couche de
la population qui, à partir d'une accumulation personnelle de
dollars, aspirerait à créer son entreprise. Car
le véritable sens du de ce projet, présenté en
France comme une revendication à la démocratie, en fait
au multipartisme, porte sur l'instauration de la libre entreprise et
donc sur une modification de la Constitution cubaine. Ce projet a été
élaboré par des juristes nord-américains en vue
de son imposition à un voisin soumis à une agression permanente.
Aucun pays ne tolérerait une modification de sa Constitution
sur intervention étrangère, a fortiori quand l'étranger
se livre à une agression permanente contre lui. 11.000 signataires
ont réclamé un référendum en vue de cette
transformation constitutionnelle, celles-ci n'ont pas plus de sens légal
qu'une pétition signée par 55.000 Français réclamant
un changement de Constitution par voie référendaire. Non
seulement il s'agit de moins de 1 % de la population, mais la Constitution
cubaine, comme la Constitution française, ne peut-être
changée que par un vote allant dans ce sens de l'Assemblée
Nationale. Donc la Constitution cubaine n'a pas été transformée
et elle conserve l'interdiction pour un citoyen cubain d'employer des
salariés, même si des dispositions légales ont été
introduites pour permettre la mixité entre l'État cubain
et les capitaux étrangers dans la gestion de certaines entreprises,
Cuba garde la maîtrise des " ressources humaines " et
ne laisse pas ses travailleurs subir l'exploitation capitaliste. Si
Cuba paye ses dettes, elle n'oriente pas l'ensemble de la production
nationale vers l'exportation en se donnant la priorité du remboursement
de la dette. Le capital extérieur se négocie avec un Etat,
qui empêche qu'il devienne un élément dominant,
capable d'orienter toute l'économie présente et future.
Les
services publics n'ont pas été démantelés.
Il n'y a pas de suppression des subventions de l'Etat aux produits de
première nécessité, certes la libreta est réduite,
mais elle se maintient. Les tarifs de l'électricité ont
continué à tenir compte du niveau des salaires des usagers.
Il n'y a pas de blocage ou de baisse des salaires. Surtout la santé
et l'éducation sont restés une priorité.
Un
rapport de la Banque mondiale de janvier 2002, portant sur les services
sociaux cubains, souligne que : " Cuba est internationalement reconnue
pour ses succès dans le domaine de l'éducation et de la
santé, avec un service social qui dépasse celui de la
plupart des pays en voie de développement et dans certains secteurs,
il est comparable à celui des pays développés.
Depuis la Révolution cubaine en 1959, et le subséquent
établissement d'un gouvernement communiste à parti unique,
le pays a créé un système de services sociaux qui
garantit l'accès universel à l'éducation et à
la santé, fourni par l'Etat. Ce modèle a permis à
Cuba d'atteindre un alphabétisme universel, d'éradiquer
certaines maladies, un accès général à l'eau
potable et à une salubrité publique de base, l'un des
taux de mortalité infantile les plus bas de la région
et l'une des plus longues espérances de vie. Une révision
des indicateurs sociaux de Cuba révèle une amélioration
presque continuelle de 1960 à 1980. Plusieurs indices majeurs,
tels que l'espérance de vie et le taux de mortalité infantile,
ont continué de se bonifier pendant la crise économique
du pays dans les années 1990.Aujourd'hui, la performance sociale
de Cuba est l'une des meilleures du monde en voie de développement,
comme le documentent de nombreuses sources internationales y compris
l'Organisation mondiale de la santé, le Programme des Nations
unies pour le développement et d'autres agences de l'ONU, et
la Banque mondiale. Selon les indicateurs de développement du
monde de 2002, Cuba surpasse largement à la fois l'Amérique
latine et les Caraïbes et d'autres pays à revenu intermédiaire
dans les plus importants indices d'éducation, de santé
et de salubrité publique. "(...)
"
Obligé de retrouver le marché et la compétitivité
déséquilibrée, le corset de fer que celui-ci impose
en particulier aux économies sous-développées,
Cuba a choisi non seulement de maintenir les droits sociaux, mais de
résoudre les problèmes de mobilité, de restructuration
à
travers une politique de formation. Mais il n'a pu opérer un
tel choix que parce qu'il a les moyens de maîtriser son économie
d'un point de vue étatique, c'est-à-dire de ne pas être
totalement soumis au remboursement de la dette, de contrôler les
investissements, d'échapper aux diktats des marchés financiers,
et donc d'orienter son propre développement. Cuba navigue, à
travers cette mixité contrôlée, entre les écueils
des choix indispensables, mais qui ne cessent d'engendrer des maux divers
qu'il faut rectifier au jour le jour. À partir de 95, les efforts
payent et l'économie entame cette croissance" continue dont
les experts s'étonnent." (...)
2-Les
tensions sociales et les solidarités :
"Il existe en effet à Cuba, un système diversifié
d'accès à la consommation où la différence
entre le pouvoir d'achat entre le peso et le dollar est sensible. Les
" tiendas " (magasins) en dollars, dits aussi magasins de
" récupération ", sont chargées très
officiellement d'éponger la masse des dollars en circulation,
et de les reverser dans le budget de l'Etat. Comme tous les pays à
forte immigration, Cuba reçoit de cette immigration (désormais
économique) une masse de dollars envoyée à la famille.
Il y a de surcroît une autre masse de devises en circulation,
qui provient de tout ce qui tourne autour du tourisme. Cela va de l'achat
par les touristes des
produits cubains jusqu'aux trafics divers. L'Etat cubain a donc ouvert
des magasins où l'on paye en dollar, alimentation, vêtements,
mais aussi électroménager et autres chaînes haute-fidélité,
téléviseur, caméra, etc.
Les produits y sont très chers, et la rentabilité y est
donc maximale. "(...)
3-Les tensions sociales et la gestion
"Les
Cubains vivent de fait dans le cadre d'une économie mixte, même
si les effets de la mixité sont maîtrisés au niveau
institutionnel, ils ne peuvent manquer de provoquer des tensions : le
Cubain aspire à une consommation plus diversifiée, soit
par une augmentation de salaires, en particulier au niveau des dollars,
soit par un meilleur approvisionnement du secteur étatique en
pesos. Nous verrons que la restructuration sucrière se donne
comme objectif de contribuer à une diversification alimentaire,
et plus généralement en matière de consommation
(les forêts). Ces tensions existent également en ce qui
concerne les missions gestionnaires des cadres, qui
sont confrontés à des logiques différentes."(...)
"
Encore plus concret : le choix de la double monnaie, le dollar et le
peso, se retrouve aussi à ce niveau du bilan comptable des administrations,
des entreprises, de la demande de prêts. Si ce que l'entreprise
achète ou ce qu'elle vend a nécessité des devises,
le prix est calculé en dollar, en peso si le produit dépend
des ressources locales." (...)
Aujourd'hui beaucoup de mesures organisationnelles et institutionnelles
sont destinées à contrôler les deux écueils
qui fondamentalement relèvent d'une nouvelle " mixité
" de la société cubaine. Un exemple, il y a eu une
restructuration du système bancaire, qui a permis au réseau
national des banques et des organismes financiers d'octroyer des crédits
aux entreprises, qui ont chacune leur budget propre, et qui doivent
tendre vers l'équilibre comptable. L'armée, elle-même,
s'autofinance grâce à ses multiples entreprises.
En
ce qui concerne la corruption, le gouvernement cubain a mis à
l'intérieur du système bancaire une parade monétaire
: désormais les échanges, achats et vente interentreprises
ne se font plus en dollars, mais en pesos convertibles. C'est une monnaie
émise par l'Etat cubain, qui vaut l'équivalent du dollar
sur le marché interne. Il est difficile de se constituer un pécule
en pesos convertibles. Là encore, les risques de la corruption
sont d'abord politiques. Le " projet Varela " table sur l'existence
d'un certain nombre de Cubains, qui ont pu accumuler des
dollars et qui peuvent consommer, mais ne peuvent pas investir dans
des entreprises qui emploieraient des salariés. Selon les statistiques
du CEPAL, en 1999, près de 12 % des comptes cubains rassemblent
80 % du total des dépôts . Il existe des secteurs de la
société, où cette accumulation de dollars d'une
manière illicite peut toujours intervenir. Mais le peso
convertible est aussi conçu à terme pour se substituer
au dollar. "
Danielle
Bleitrach
Cuba est une île.
Danielle Bleitrach, Viktor Dedaj, avec la particiaption de J.F.Bonaldi
Le temps des cerises
sources
: CubaSolidarityProject