Le
ministère public le dos au mur
Les questions posées par les juges lors de l’audience orale
de l’appel des Cinq, à Miami, vont dans le sens d’un
procès plus objectif qui mettrait l’accent sur les doutes
qui entourent les accusations
Par Jean-GuyALLARD,
envoyé spécial de Granma international.-Le 11 mars 2004
MIAMI.-
La procureure Christine Heck-Miller s’est vue dans une situation
embarrassante face à plusieurs questions des magistrats de la
Cour d’appel du 11e Circuit d’Atlanta, lors de l’audience
orale prévue ce mercredi 10 mars dans l’affaire des cinq
Cubains prisonniers aux États-Unis.
Certaines
l’ont visiblement prise au dépourvu, ou du moins elle s’attendait
à une autre formulation :
—
Où est la référence selon laquelle il (Gerardo
Hernandez) savait que les avions allaient être abattus, et que
(Cuba) ne recourrait pas à une autre méthode de défense
de sa souveraineté ? lui a demandé le juge Birch, à
propos de la participation de Gerardo à l’incident des
Cessna, le 24 février 1996.
Dissimulant
à dure peine sa nervosité, Heck-Miller a essayé
de donner des explications qui ont épuisé plusieurs des
quelques minutes dont elle disposait.
—
Si l’on retire la charge d’assassinat contre Hernandez,
que reste-t-il ? a demandé plus tard le juge Birch, ce qui a
fait penser aux observateurs qu’il doutait de la validité
du fameux chef d’accusation No. 3, lequel a valu à l’inculpé
la plus disproportionnée de toutes les sentences prononcées
contre les Cinq.
Dans un
plaidoyer quelque peu déplacé, Heck-Miller est allée
jusqu’à insinuer que l’action contre les avions faisaient
partie d’une stratégie de Cuba pour lancer une «campagne
de propagande» contre les États-Unis. Une réflexion
bien propre au climat miamien mais qui n’a pas laissé de
surprendre plus d’une personne dans l’assistance.
Auparavant,
le même juge avait posé abruptement cette question à
l’avocate, qui naviguait alors dans une argumentation un peu éloignée
du sujet :
—
Et quel est le rapport de tout ceci avec un «assassinat»
?
Une situation
similaire s’est produite lorsque la même représentante
du gouvernement nord-américain a tenté de répliquer
à l’avocat d’Antonio Guerrero, Leonard Weinglass,
qui a présenté les arguments de la défense en faveur
d’un changement de lieu pour le procès, en s’appuyant
sur la jurisprudence.
L’avocat
a qualifié le refus d’un changement de lieu par la juge
Lenard d’«inexplicable», étant donné
que plus tard cette attitude a été en contradiction avec
une décision du ministère public lui-même, dans
le cas d’un fonctionnaire du Service d’immigration de Miami.
Ce fonctionnaire, du nom de Ramirez, avait déposé une
plainte contre le gouvernement, s’estimant discriminé en
tant que Cubain.
Dans ce
cas le ministère public avait demandé un changement de
lieu pour le procès, faisant valoir le «climat défavorable»
de Miami pour le jugement d’une personne d’origine cubaine.
Nerveuse
et s’évertuant à défendre sa position, l’avocate
a fait plusieurs fois référence à l’affaire
Elian Gonzalez et au «sensationnalisme» médiatique
dont avait bénéficié Ramirez. Elle donnait ainsi,
de fait, raison aux défenseurs des Cinq qui, précisément,
avaient proposé que le jugement ait lieu dans une autre ville,
alléguant que l’impartialité était impossible
dans une Miami dominée par les extrémistes.
Un des
défenseurs, Joaquin Mendez, a indiqué que les préjugés
constatés à Miami au cours de la procédure se sont
manifestés non seulement au niveau du choix des jurés,
mais aussi lorsque le chef de bande José Basulto, un individu
au passé terroriste, a qualifié publiquement un avocat
de la défense d’«espion communiste», ce qui
dans cette cité équivaut à une menace de mort.
Mendez
a raconté qu’à une autre occasion, des inconnus
ont fait irruption dans la salle d’audience vêtus d’uniformes
comme en portent les groupes paramilitaires.
Le thème
de la conspiration à des fins d’espionnage a à peine
été mentionné à cette audience orale, qui
s’est déroulée devant les juges Birch, Kravich et
Oakes, dans une vaste salle aux murs revêtus de bois précieux
et où une cinquantaine de personnes occupaient six longs bancs
et quelques chaises.
LA MAFIA
DE MIAMI S’EST TENUE TRANQUILLE
Cette fois,
la mafia de Miami s’est abstenue des manifestations bruyantes
et arrogantes qui avaient marqué le procès au point que
plusieurs des jurés s’étaient plaints, se disant
victimes de tactiques d’intimidation.
Sa présence
s’est limitée à une petite «délégation»
d’une demi-douzaine d’éléments contre-révolutionnaires,
dont certains se sont également manifestés à Panama
en faveur du terroriste international Luis Posada Carriles.
Toutefois,
la présence de personnages suspects liés à des
groupes terroristes a été détectée dans
l’hôtel voisin où étaient hébergés
les représentants des comités de solidarité, au
moment même où l’affaire était discutée
devant la cour.
«Ils
n’avaient pas les réponses à plusieurs des questions
posées par le tribunal», a commenté Paul McKenna
en arrivant sur les lieux où les représentants de la presse
attendaient les avocats de la défense. «Nous sommes très
satisfaits. Je pense que le juges analyseront ce cas avec une grande
attention. En particulier en ce qui concerne les charges de conspiration
pour commettre un assassinat. Ils ont posé de nombreuses questions
au gouvernement (au Ministère public). Et je pense que nous obtiendrons
justice pour ces cinq jeunes gens.»
«J’ai
l’impression qu’ils ne croient pas qu’il existe suffisamment
de preuves pour maintenir le chef d’accusation No. 3 (conspiration
à des fins d’assassinat). Et qu’ils sont aussi préoccupés
par le fait que le changement de lieu du procès ait été
refusé alors que cette même requête a été
formulée plus tard par le gouvernement lui-même (dans l’affaire
Ramirez). Les sentences aussi les préoccupent, car on a dicté
des peines de prison à vie bien qu’il n’y ait eu
aucun préjudice à la sécurité nationale»,
a enchaîné McKenna.
Pour sa
part, Leonard Weinglass a souligné à nouveau, à
la sortie du tribunal, que «les accusés ne demandaient
rien d’autre qu’un changement de lieu minime pour le procès,
un changement qui ne constituait pour le gouvernement aucun inconvénient
réel», et que le Ministère public avait essayé
de profiter du climat politique très particulier de Miami.
INSISTANCE
SUR LA FAIBLESSE DE LA CHARGE DE CONSPIRATION POUR COMMETTRE UN ASSASSINAT
Joaquin
Mendez s’est réjoui du fait que les juges «aient
insisté sur la charge No.3, c’est-à-dire le chef
d’accusation pour lequel il existe le moins de preuves pour appuyer
le verdict».
«Il
semblerait qu’ils soient préoccupés aussi par la
sévérité des sanctions d’espionnage»,
a-t-il indiqué, ajoutant que les questions posées par
le tribunal indiquent une excellente connaissance de l’ensemble
de la documentation de l’appel de ce cas particulièrement
complexe.
Il est
évident que l’annonce publiée dans le New York Times
en faveur des Cinq et le reportage de sept minutes diffusé cinq
fois par la chaîne de télévision Fox ont retenu
l’attention d’une presse nord-américaine qui demeurait
muette, en dépit des caractéristiques très particulière
de ce cas.
La CNN
en espagnol a évoqué plusieurs fois le procès,
de même que l’agence AP, tandis que les caméras de
sept chaînes de télévision se trouvaient à
la sortie du tribunal et à la conférence de presse qui
a suivi à l’hôtel Sheraton de Miami.
Cependant,
à cette occasion, des journalistes de médias liés
à la cupula mafieuse ont tenté, sans succès, d’«orienter
le débat», montrant par leur entêtement à
quel point la métropole floridienne est le lieu le moins indiqué
pour un jugement impartial dans n’importe quelle affaire en rapport
avec Cuba.
MÊME
LA CONSTITUTION DES USA EST DU CÔTÉ DES CINQ
Les reporters
ont écouté avec un vif intérêt aussi bien
les interventions de Weinglass que celles des juristes internationaux
présents à la conférence de presse.
Me Carlos
Zamorano, d’Argentine, qui représente l’Association
américaine des juristes et la Ligue argentine pour les droits
humains, a indiqué que son pays a souffert du terrorisme cubano-américains
à travers l’Opération Condor, et qu’il espérait
une décision favorable de la Cour, «pour faire honneur
à la justice nord-américaine» face au fléau
du terrorisme.
«Même
la Constitution des États-Unis est du côté des Cinq»
a assuré pour sa part Edith Flamand, du Réseau d’avocats
progressistes de Belgique, tandis que l’avocat italien Fabio Marcelli,
de l’Association internationale des avocats démocratiques,
a plaidé pour l’indépendance de la justice face
aux constantes manoeuvres du pouvoir exécutif nord-américain,
et dénoncé les «contradictions flagrantes»
existant dans les prétentions du Ministère public concernant
le changement de lieu du procès.
«Il
n’y a pas suffisamment de preuves» pour étayer les
chefs d’accusation, a indiqué Everhard Schultz, de la Ligue
des droits de l’homme de Berlin, où Me Weinglass portera
prochainement la cause des antiterroristes cubains.
Au nom
de la National Lawyers Guild, des États-Unis, le juriste Ian
D. Thompson, de Los Angeles, a justifié devant la presse le grand
intérêt de cette organisation pour la cause des Cinq à
partir d’une analayse approfondie de ce cas flagrant d’injustice.
«La
justice triomphera !», a assuré le religieux Geoff Bottoms,
dirigeant du Comité britannique de soutien des Cinq, s’adressant
au peuple nord-américain. «Votre système judiciaire
a la capacité et la compétence suffisantes pour cela».
Gloria
La Riva, coordinatrice du Comité nord-américain de solidarité
avec les Cinq (Free The Five) a profité de l’occasion pour
mentionner l’existence de par le monde de centaines de groupe
qui appuient les Cinq dans leur lutte pour obtenir justice.
«Nous
avons brisé le silence», s’est exclamée l’animatrice
du groupe de solidarité, après des années de lutte
difficile pour faire connaître la cause des patriotes cubains.
La veille
au soir, le groupe de juristes solidaires des Cinq s’était
réuni avec de nombreux Cubano-Américains dans la salle
de l’Alliance martiste, qui rassemble plusieurs organisations
de Miami qui réclament le respect de la souveraineté de
Cuba et la normalisation des relations entre l’Île et les
États-Unis.
À
cette occasion, le journaliste Max Lesnik avait lancé un vibrant
appel pour qu’il soit mis fin au terrorisme miamien, et avait
salué l’immense courage des Cinq dans cette lutte.
«Ce
qu’ils sont allés défendre, ce n’est pas seulement
Cuba, qui est leur patrie et la nôtre. Ils sont aussi allés
défendre les États-Unis», a-t-il dit, avant de critiquer
«l’attitude incompréhensible, la morgue et l’arrogance
d’une direction politique atteinte de myopie et qui ne sait pas
comment être en paix avec le monde».
Le 10 mars,
un pas important et solide a été franchi dans la cause
des Cinq. Il nous faut attendre maintenant des mois avant de connaître
le verdict de la Cour d’appel d’Atlanta. Mais durant tout
ce temps, de nombreux amis solidaires dans le monde poursuivront la
bataille, brandissant la vérité et la justice en défense
de nos cinq combattants antiterroristes.
